Nombreux sont ceux qui s’accordent à cracher sur ces festivaliers aux grandes gueules qui investissent celle de la Grande Halle le temps d’un weekend chaque année. Et malgré le crédit qu’on pourrait donner à leurs critiques, on ne peut s’empêcher de se demander : mais d’où vient la hype ambiante qui gravite autour de ce rendez-vous (à prononcer à l’anglaise) du Paris branché ? Et surtout, que vient-on y chercher ?
On dit souvent du Pitchfork Festival qu’on y voit des cercles fermés, mais on y entend surtout une autre forme de cercle : la boucle sonore. L’appel à la transe semblait en effet être le leitmotiv de la soirée du samedi : nappes sonores et lancinantes étaient clairement de la party. Et ce pour le meilleur, comme pour le pire, allant jusqu’à transformer des propositions musicales riches et fouillées en lives dénudés et minimalistes.
Même la performance folk du chanteur José Gonzalez s’inscrivait dans ce sens. Bien que familier de la scène pitchforkienne pour y avoir posé ses valises avec Junip l’an passé, la présence du suédois a été vue par beaucoup (les internets me l’ont dit) comme une erreur de casting d’un programmateur novice. Mais au contraire, l’enchaînement des sets offrait subtilement une lente progression dans des degrés de psychédélisme croissant, du folk à la musique club, en passant par l’électro.
Avec sa guitare pour seule arme au milieu d’un champ de pro-électro-clubbers, José Gonzalez nous fait subtilement dériver d’un folk traditionnel à un mantra psyché en forme d’incantation mi-transe mi-tribale. Piochant tour à tour dans l’univers des invocations boudhistes, dans les rythmiques répétitives des percussions africaines et dans les boucles lancinantes des chants traditionnels indiens, il invite à se perdre aussi efficacement que le fera un Caribou quelques heures plus tard. La performance est impeccable, attaquée d’entrée avec un Crosses puissant et euphorisant et clôturée par des morceaux de Junip que l’on attendait secrètement.
Mais la plongée dans l’univers du suédois est fine et progressive et mérite qu’on s’y attarde. Trop exigeante, elle perd un public dont les attentes électro-minimales n’ont pas laissé de place à la découverte et n’emporte avec elle que les quelques oreilles aguerries qui traînaient par là.
Le public, d’ailleurs, est déjà loin quand approche la fin du concert. Emporté par la vague qui balaie la grande Halle à chaque changement de set, on se retrouve si soudainement dans un autre monde que l’on ne comprend pas tout de suite ce que l’on voit sur l’autre scène. On plonge les mains au fond des poches, à la recherche du line up de la soirée, et pourtant si, c’est bien la troupe de Jungle qui se tient devant nous. Enfin, se tient… On peine au premier coup d’oeil à reconnaître ceux dont les clips dépeignent une image millimétrée et urbaine, chorégraphiée et contemporaine : tresses au vent et maracas à la main sous une ribambelles d’ampoules jaunes, Jungle est beaucoup plus authentique et festif qu’on l’imaginait, et met en branle la Villette dans son funk rétro-futuriste gonflé à bloc. Si l’on met de côté le fait que la plupart de leurs morceaux – de Time à Busy Earnin’ - présentent la même construction, les mêmes harmonies et – finalement – la même ambiance, c’est le groupe qui aura le moins donné dans le répétitif et syncopé. En ressort un show savoureux tout en relief, parfaitement adapté à l’ambiance festival et à son atmosphère euphorique.
Car très vite nous revoilà repartis dans le grand bain électro de la Halle avec le très attendu Caribou qui commencent en chauffant à blanc le public grâce à un Our Love bouillant, tout en montée et en attentes, riche en variations et en pauses savamment placées. Après ces préliminaires tout en formes, le groupe se lance dans une montée beaucoup plus lente et subtile, à l’atmosphère spatiale, avec leur morceau Mars. C’est parti pour de longues minutes d’un show (trop) planant qui perd une partie du public que l’introduction du show avait trop nourri d’attentes. De boucle en boucle, la performance tourne vite en circuit fermé. Chaque montée accouche d’une souris et laisse sur une faim de loup. Ce n’est qu’après 45 minutes d’un set dont on cherche les nuances que le groupe se rattrape les faveurs du publics au moyen d’un flambant Can’t Do Without You. Surmonté d’un lâché de ballons et de lumières stroboscopiques, le groupe s’assure de laisser le souvenir d’un show haut en couleurs, Instagram à l’appui.
Bientôt, Four Tet prend la relève, et la soirée bascule pour de bon dans un mode club que Caribou avait malgré tout bien préparé. Le côté bouclé est assumé, les nuances subtiles et les variations progressives. Artisan du beatmaking, le DJ anglais dépouille l’électro de toute fioriture pour en tirer une sève pure de laquelle le public se saoulera jusqu’à plus soif. Les couches sonores se superposent et se confondent, faisant se répondre et se mêler des vagues de beat complexes et évolutives. Le temps s’arrête, les morceaux s’enchaînent par des transitions invisibles et parfaites. Le public y trouve une transe bien méritée et se laisse (em)porter. Pour ceux qui réussiront à en émerger suffisamment pour changer de scène, Jamie xx prolongera la plongée club pendant 1h40.
Que vient-on chercher au Pitchfork Music Festival ? Une expérience immersive et collective via des artistes pointus et (re)connus. Mais qu’en retient-on ? Le show qui aura le plus marqué les corps et les esprits est celui de Jungle, qui s’écarte le plus de la norme du festival. Avec une performance festive et cuivrée avec des sonorités chaudes et riches, le groupe montant se trouve bien loin des températures minimales et beats dépouillés des stars du milieu.
Comme quoi la hype guindée sait parfois reconnaître les plaisirs de la jungle festive.
Souvenirs à emporter
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